lundi 9 mai 2011

Antigone

Antigone


Jean ANOUILH
1944

Cette pièce est probablement ma favorite. C'est un monument. La force, le courage et l'honneur sans faille qui caractérisent son héroïne en ont fait une oeuvre très à propos au moment de sa publication, en contexte de fin de guerre.
En règle générale, je n'approuve pas les réécritures des drames antiques. Ces classiques d'une époque très lointaine devraient conserver leur position de sacré et ne pas être touchés. J'ai en tête Phèdre. Par réflexe, vous me direz "Phèdre, de Racine". en fait, Phaedre est un merveilleux drame amoureux relaté par Euripide près de cinq siècle avant notre aire. Racine a fait de Phèdre une vieille marâtre acariâtre, alors qu'à l'origine, Phaedre était une superbe et jeune héroïne d'ascendance divine emportée par la tragédie de sa destinée.

Qu'en est-il d'Antigone ? Anouilh a sublimé son héroïne. Elle est l'incarnation de la rébellion mais surtout et peut-être plus encore que dans l'oeuvre antique, elle est la figure de la liberté, à la fois soumise à sa destinée et contre celle-ci.
L'histoire, tout le monde la connait. Créon le roi, son oncle, prend des décisions politiques difficiles et injustes mais ramenant l'ordre dans sa cité. La dépouille de l'un des deux frères d'Antigone, tous deux morts en s'affrontant pour le pouvoir, doit pourrir aux vues de tous. Antigone fait ce qu'elle considère être son devoir : elle se lève la nuit pour rendre les derniers hommages à son frère, malgré le décret royal qui la condamnera à mort. Lorsque Créon le roi lui propose de garder le silence et de tout remettre en ordre, ce qui implique de déterrer la dépouille de Polynice, Antigone dit non. Elle recommencera, c'est son devoir. Ce drame est celui de la dualité. Celle entre le légitime et le raisonnable, celle entre le bien général et la moralité, celle entre Antigone la rebelle et sa soeur douce et rangée, entre les deux frères, l'un juste et l'autre avide, etc.

Là où l'auteur a sublimé son héroïne, à mon sens, réside dans cette autre dualité ou plutôt un paradoxe apparent que j'évoque plus haut. Antigone choisit de se rebeller contre les lois dictées par son oncle le roi. En vérité, la liberté de l'héroïne est celle de se soumettre à sa destinée. Elle est fille de roi, l'honneur et le devoir coulent dans son sang : "Dis-leur de me lâcher. Je suis la fille d'OEdipe, je suis Antigone. Je ne me sauverai pas." Son devoir est d'enterrer son frère et d'assumer ce qu'elle est, quelqu'un qui a la force et le courage de ses convictions, jusqu'à le payer de sa vie. La façon dont Anouilh a traité cette oeuvre, comme un acte joué par des acteurs-personnages déjà au courant du drame qu'ils vont interpréter,  met en avant ce point de vue en particulier.
Jean Anouilh semble dire "trouvez qui vous êtes, lâche ou héros, meneur ou suiveur, responsable ou insensé, et assumez-le jusqu'au bout".